Interview d’expert : pourquoi habiter autrement est devenu la nouvelle donne immobilière

Interview d’expert : pourquoi habiter autrement est devenu la nouvelle donne immobilière

28.02.2018 Eclairage d’expert

Jérôme LOUIS, diplômé d’un DEA en anthropologie sociale à l’EHESS, dirige depuis 2014 l’agence Espaces Atypiques de Marseille. Après plusieurs années de terrain, séduit par le concept inédit d’Espaces Atypiques, il décide de rejoindre l’aventure en 2012. Comment une agence a su allier l’humain et l’immobilier, la commercialisation avec l’histoire de l’art et l’esthétique avec la communication ? Ce sont les fondements d’une agence pas comme les autres qui a réussi le pari d’un nouveau regard sur un marché aussi ancien que la propriété, aux fondements même de notre condition humaine où la notion de foyer fédère nos modes de vie et nos liens de parenté. C’est à travers son regard d’anthropologue que Jérôme tente de répondre aux questions spécifiques soulevées par une réussite, celle d’Espaces Atypiques, passé leader national dans le marché de niche qui est celui de l’habitation contemporaine et hors norme. Cette anthropologie « sauvage » de l’habitat nous permet de mieux comprendre un fait social nouveau : la volonté singulière de plus en plus présente de s’approprier un lieu de vie, de le modeler à son image, d’un « vivre mieux » au plus près de nos personnalités et de nos nouveaux modes de vie.

 

Comment décrirais-tu l’habitat d’aujourd’hui et la place de l’habitat atypique ?

 

J.L. : L’habitat d’aujourd’hui est à l’image de notre société. Il a été pour chaque époque le reflet de nos modes de vie et de nos avancées technologiques. Aujourd’hui notre habitat est pris dans un étau entre la mondialisation et son polissage esthétique et l’extrême monotonie du marché grandeur nature de l’immobilier. Entre ces eaux naviguent une poignée d’individus qui façonnent ses contours et renouvèlent ses fondamentaux. Ce sont les clients d’Espaces Atypiques. Pour moi manger slow food et vivre dans une ancienne ébénisterie revisitée en loft participe du même principe. L’attrait contemporain pour le mieux vivre, la quête d’harmonie avec soi-même, de faire du sport, de manger sainement et de voyager pour découvrir de nouvelles cultures sont des facteurs que nous retrouvons à travers notre clientèle et dans une réappropriation de l’habitat en général.

 

Comment expliques-tu la rupture contemporaine avec l’architecture classique ?

 

J.L. : La rupture avec l’habitat traditionnel et surtout la naissance de l’habitat contemporain est un processus qui a été amorcé au 19ème siècle. Il fut avant tout une revendication sociale dans un contexte socio-économique qui dépasse largement le cadre de l’architecture. Tout au long du 19ème siècle des courants de pensée ont vu le jour pour transformer la société, libérer l’homme de la reproduction sociale et exister en tant qu’individu, indépendamment des pouvoirs politiques ou religieux. C’est la naissance des intellectuels, des hommes portés par de grands noms de l’histoire comme Marx, Schopenhauer ou Nietzsche qui luttent contre un pouvoir aristocratique qui ne veut pas se défaire de son influence ancestrale sur l’individu. Ces ruptures à répétition vont conduire à la constitution de groupes de travail et de réflexion sur notre état de conscience en tant que sujet et donne naissance en 1919 à Weimar au mouvement fondateur des bases de l’architecture moderne et plus tard du style International : le Bauhaus. Il est l’inspiration première des grands courants qui marqueront l’architecture et l’habitat tout au long du 20ème siècle, du brutalisme au « Nouvel Homme » du fonctionnalisme danois. Ce siècle qui a donné naissance aux intellectuels n’est pas si éloigné de nos préoccupations actuelles sur notre condition d’individu et la manière dont nous interagissons avec notre environnement. Nous nous inscrivons exactement dans la continuité des évolutions précédentes, et nous sommes plus que jamais proche des grandes révolutions de l’habitat du 20ème siècle.  C’est un phénomène récurrent et tout à fait d’actualité que de se réapproprier les marqueurs qui ont changé notre approche de l’espace et de l’esthétique en général. Nous retrouvons cette notion dans l’engouement actuel pour les objets et véhicules vintage ou rétros, revisités à grands coups de nouvelles technologies.

 

Quelles ont été les étapes de cette rupture ?

 

J.L. : En un siècle tout a basculé, l’homme a pris la parole et son destin en main, supporté par l’explosion de l’industrie. C’est Derain qui contemplant une hélice de paquebot à une exposition internationale vers 1910, dit à ses amis Braque et Matisse que leur art plastique avait été définitivement dépassé. Car les prouesses technologiques ont été fondatrices dans la métamorphose de l’architecture au 20ème siècle. Pour réaliser le moucharabieh en dentelle de BFUP, Bétons Fibrés à Ultra-hautes Performances, qui recouvre le MUCEM, il faut des milliers d’heures de calculs d’ingénierie et de nouveaux matériaux que nous n’avions pas auparavant. À la fin du 19ème siècle, avec l’Orientalisme, de nouvelles formes venues d’Afrique et d’Asie voient le jour chez les occidentaux du vieux continent en quête d’identité. Ces formes tombent à point nommé, elles inspirent tant pour leur contenue spirituel qu’esthétique. Elles influencent l’architecture, la peinture et toute forme de production artistique. En architecture l’Art déco bat son plein, et prend ses distances avec un Art Nouveau décadent, tandis que les peintres s’emparent de l’art primitif, aujourd’hui Arts Premiers depuis Jacques Chirac et le Quai Branly, et inventent le Cubisme. Du Cubisme au Brutalisme du béton Corbuséen il n’y a qu’un pas, la machine est lancée et bientôt le Style International se propagera sur tous les continents.

 

Quelle est pour toi la plus représentative ?

 

J.L. : Plusieurs exemples me viennent à l’esprit tant ils ont marqué notre imaginaire et l’idée que l’on se fait d’une habitation contemporaine. La première est celle de Le Corbusier et la Villa Savoye qui marque à jamais notre vision de la villa moderne, toujours d’actualité, aux espaces ouverts libérant les cloisons externes par de vaste baies vitrées, rendues possible par la technologie des piles de béton.

 

Ce nouveau rapport à l’habitat entraine de nouveaux besoins et de nouvelles envies en termes d’acquisition immobilière. Pourquoi beaucoup d’acheteurs d’aujourd’hui recherchent-t-ils des biens atypiques, en quoi ces biens leur correspondent ?

 

J.L. : L’accès sans limite à la connaissance via internet, la prise de conscience collective d’une vie meilleure, le développement de la presse spécialisée, et l’accessibilité financière aux matériaux de construction de meilleure qualité et meilleur marché, ont contribué à la démocratisation de l’habitat contemporain et atypique. L’offre du marché atypique de l’immobilier correspond parfaitement à notre époque et la vision contemporaine de notre quotidien. Les acquéreurs d’habitations atypiques ont une vision du bien-être et recherche des lieux de vie en harmonie avec leurs nouveaux centres d’intérêt. La démarche de l’habitation atypique nait d’une vision, une projection dans l’espace qui investit un lieu pour créer un environnement à notre image. On retrouve cette notion de revendication d’autonomie de l’individu ou du groupe d’individus, dès les débuts du renouvèlement de l’architecture au 20ème siècle. Il a fallu attendre encore un siècle, deux guerres mondiales, et « La reproduction » de Bourdieu en 1970 pour replacer pleinement l’individu et son identité remarquable dans le champ des possibles qui lui sont offerts. L’accès à la connaissance et le bouleversement des mœurs depuis 1968 ont amplifié ce phénomène d’épanouissement individuel portés par un désir de bien-être et de liberté. Je suis unique et je veux vivre dans un habitat qui soit en harmonie avec mes valeurs et ma sensibilité artistique. Ces notions courent sur aujourd’hui sur les supports publicitaires, le culte du corps sain, sportif, (manger bio, faire du pilate) du voyage et de l’aventure (SUV, trekking), rencontrent alors le cadre ancestral du foyer et le transforme en plateforme du lifestyle teinté de design.

 

Qui sont ces acheteurs ? Existe-t-il des profils type ?

 

J.L. : Nous avons eu la chance l’an dernier de présenter une étude sur notre clientèle basée sur 250 transactions en 2016. Les résultats relayés par la presse économique spécialisée, comme le Nouvel Obs ou les Echos, ont été clairs, les acquéreurs d’habitation atypiques correspondent une nouvelle fois au profil type d’une population moderne, souvent de profession libérale, aimant les arts et les voyages, activement sportif, d’une quarantaine d’années et qui veulent vivre un monde libre, à son image. Ils sont médecins, avocats, artistes, ou homme d’affaire, mais tous ont en commun cette notion de l’importance de l’habitat, de son rôle dans le fonctionnement de notre quotidien. L’enveloppe de l’habitat et sa conception interagit en permanence avec notre bien-être et notre mobilité. Lorsque l’architecte ou l’architecte d’intérieur agit sur l’espace, cet espace va à son tour agir sur notre être, consciemment ou inconsciemment. Certains de nos clients font appel à des spécialistes en Feng Shui pour valider leur achat. Un appartement traditionnel revisité, qui a été décloisonné et augmenté de prestations contemporaines, n’offrira pas la même qualité de vie que dans sa version originale plus cloisonnée, moins lumineuse, dont la circulation sera moins naturelle à vivre. C’est une prise de conscience en plein développement et qui se ressent à notre échelle avec une demande toujours plus aiguisée et éduquée chez nos acquéreurs.

 

Quelle réponse EA apporte à ces nouveaux besoins et donc aux nouveaux clients ? 

 

J.L. : Espaces Atypiques est la meilleure agence pour répondre à ce fait social. Elle est précurseur dans le domaine et depuis dix ans Espaces Atypiques sélectionne activement tout habitat pertinent qui pourrait rentrer dans cette charte très étroite des habitations hors normes. Aujourd’hui leader national de cet habitat dit contemporain, nous sommes en mesure de proposer la quasi-totalité de ces biens dans plus de 30 villes en France. Les personnes touchées par ce type d’espaces non conventionnels sont ravies de pouvoir faire appel à des spécialistes qui comprennent l’intention première qui a transformé des espaces parfois extravagants en habitation, comme d’anciennes églises, des savonneries, des châteaux transformés en îlots high-tech, des ébénisteries ou autres usines désaffectées. Notre clientèle, vendeurs et acquéreurs, se reconnaissent dans le discours d’Espaces Atypiques sur l’habitat. Elle attentionne particulièrement notre capacité d’écoute de leur projet, de leurs besoins, de leur style de vie, singuliers et uniques. Nous parlons le même langage, nous sommes sensibles aux mêmes détails, d’une matière, d’une perspective percée entre deux piles, du jeu des formes et des contours d’une rénovation qui va donner à un lieu son caractère unique et que nous allons transmettre à notre tour à un nouvel acquéreur, également sensible à cette esthétique ou à un parti pris architectural en particulier. Le phénomène Espaces Atypiques plus que de s’être positionné sur un marché de niche, répond aujourd’hui à un besoin de société, un fait social hérité de nos prédécesseurs et qui resitue l’individu au centre de foyers uniques adaptés à des parcours de vie singulier, une véritable anthropologie de l’habitat !

 

Vous êtes très investis à Marseille avec notamment de nombreux soutiens à des actions territoriales, peux-tu nous en dire un peu plus ?

 

J.L. : Durant mon parcours j’ai été organisateur d’événementiel, et plus particulièrement d’événements pluridisciplinaires. Je trouve les transversalités très utiles dans l’approche d’un sujet. L’habitat est un sujet complexe qui met en scène une diversité de facteurs, économiques, humains, esthétiques, émotionnels et psychologiques. Depuis la création de notre antenne marseillaise nous avons mis en avant notre volonté de participer à des actions territoriales de toutes natures, en lien avec l’architecture, l’art et la vie culturelle urbaine. Les biens que nous commercialisons sont parfois la réalisation de grands noms de l’architecture, voire ce sont des réalisations architecturales labélisée par les instances académiques nationales. C’est cette conscience de manipuler un patrimoine culturel qui nous a poussé à nous installer dès notre arrivée à la Cité Radieuse de Le Corbusier, un symbole fort que nous entretenons pour être toujours au plus proche de notre volonté première de vivre l’habitat comme un Art de Vie Espaces Atypiques. Une fois installé au Corbusier, nous avons travaillé collectivement avec l’ACPUH, l’association des commerçants et professionnels de l’Unité d’Habitation, et en tant que membre d’honneur de l’association des habitants de l’Unité d’Habitation Le Corbusier pour obtenir la reconnaissance de notre Cité Radieuse marseillaise parmi les 17 édifices retenus à l’UNESCO lors de la reconnaissance de l’œuvre de Le Corbusier au patrimoine mondial de l’humanité voté en 2016. Nous avons à cette occasion conjointement organisé une conférence avec le spécialiste international du Corbusier William R. Curtis, en présence des élus locaux et des représentants étrangers dans l’enceinte du MAMO, le Marseille-Modulor du célèbre designer français Ora ïto installé dans l’ancien gymnase dessiné par Le Corbusier sur le toit terrasse de la Cité Radieuse. Dans un tout autre registre nous soutenons des actions culturelles locales comme les Flâneries à Aix en Provence, festival durant lequel les portes des jardins urbains des hôtels particuliers s’ouvrent le temps d’un concert ou d’une exposition d’art contemporain. Cette idée de pousser des portes nous étaient déjà venues lorsque nous avons créé Open Houses, un concept inédit où la question patrimoine était central. Il s’agissait de donner l’accès au public l’espace de quelques jours à un habitat d’exception à Marseille, de par son histoire ou la singularité de son architecture en milieu urbain. Home stagié avec l’aide de notre partenaire de toujours Skandhaus, spécialisé dans le mobilier 20ème, chacun a pu ainsi découvrir un lieu insolite à Marseille, pour une simple visite, mais également pouvait devenir acquéreur des lieux ou du mobilier. Toujours sur un autre registre, lors de MP2013, Marseille Capitale Culturelle de l’Europe en 2013, nous avons soutenu l’événement ID Bauhaus dans le cadre de la semaine israélienne au Pavillon M sur le Vieux-Port, avec une série d’installations dédiées à l’héritage du Bauhaus, une exposition photo et un débat conférence sur les affinités entre le Bauhaus et le travail de Le Corbusier, en présence de deux spécialistes, l’un photographe et l’autre architecte, Igal Gawze et Jacques Sbriglio. Un échange étonnant qui a resitué Marseille au centre de l’Europe, une capitale légitime au carrefour des cultures du nord et du sud. C’est toujours dans cet élan et cette volonté de transmission, agissant en passeurs, que nous soutenons vigoureusement le projet de renaissance du Stadium de Vitrolles, œuvre brutaliste réalisé par Rudy Ricciotti, laissée à l’abandon depuis plusieurs années et maintenant en passe d’être labélisée à son tour Architecture Contemporaine Remarquable. Aujourd’hui nous venons de nous implanter sur la Côte d’Azur, et avec Marseille pour capitale, la région PACA regorge d’identités architecturales remarquables, souvent dans des décors naturels de rêve, et nous nous voulons garant de cet héritage à partager et à transmettre, depuis la tour LUMA de Frank Gerhy à Arles au Musée Jean Cocteau de Rudy Ricciotti à Menton.

Pour finir sur une note anthropologique, le fait social est un fait total, il prend en compte la totalité de ce qui constitue l’identité de l’individu. L’habitat comme fait social ne s’arrête pas au marché de l’immobilier mais transgresse bien toutes les strates de nos modes de vie, révélatrice d’une société en perpétuel mouvement.

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