
Ferronneries et pixels : le loft de Jordan Mechner à Montreuil change de mains
Créateur légendaire de la franchise Prince of Persia et pionnier du jeu vidéo, Jordan Mechner a toujours eu un œil aiguisé pour les espaces qui racontent des histoires. Alors qu’il s’apprête à tourner la page avec son loft montreuillois, il nous ouvre les portes de cet espace aux allures de niveau bonus et répond à nos questions.
Vous avez eu une passion très jeune pour l’univers du jeu vidéo. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce domaine au point de vouloir développer votre propre jeu ?
Jusqu’à mes 12 ans, j’étais plutôt tourné vers la BD, car les jeux vidéo n’existaient pas encore. Sans l’invention de l’ordinateur personnel, j’aurais probablement poursuivi dans le dessin. Mon rêve d’enfant était de devenir auteur de BD. Mais à 13 ans, l’Apple II est arrivé. J’étais à New York, et j’ai été immédiatement captivé.
J’adorais des jeux comme Space Invaders et Pac-Man, mais ce qui me fascinait surtout, c’était la possibilité qu’avait un adolescent de créer ses propres univers ludiques. C’était magique de concevoir des mondes dans lesquels d’autres pourraient s’immerger. Le jeu vidéo, comme la BD et le cinéma, représentait un médium de storytelling idéal.
J’ai longtemps navigué entre jeux vidéo et cinéma, aspirant à explorer ces deux univers. J’ai créé Karateka, mon premier jeu de combat, à l’université en 1984, puis développé Prince of Persia, avant d’intégrer une école de cinéma. La boucle s’est bouclée il y a 15 ans quand Prince of Persia est devenu un film produit par Jerry Bruckheimer avec Jake Gyllenhaal et Ben Kingsley – mon premier scénario à sortir sur grand écran.
En tant que créateur reconnu pour votre sens du design et de l’esthétique, qu’est-ce qui vous a initialement attiré dans ce loft de Montreuil ?
Je connaissais déjà Montreuil grâce à mes collaborations avec Ubisoft sur les jeux Prince of Persia. J’adore Paris, et Montreuil m’évoquait le Brooklyn de Paris. New-Yorkais d’origine, mon frère habite d’ailleurs à Brooklyn. J’appréciais cette ambiance périphérique mais proche du centre, avec son esprit de village et sa tranquillité, tout en restant facilement connecté au cœur de Paris.
Initialement, je partageais mon temps entre Montpellier et Paris. Venu en France depuis Los Angeles pour un projet, j’ai décidé de m’y installer avec ma famille. Je pensais être davantage à Paris, mais l’évolution de mes projets m’a finalement amené à passer plus de temps à Montpellier. Le loft est ainsi devenu trop spacieux pour mes besoins. Je suis ravi qu’un jeune musicien puisse maintenant en profiter pleinement.
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Les espaces de 7 mètres de hauteur et la lumière zénithale rappellent presque des décors de jeux vidéo. Cette dimension a-t-elle influencé votre choix ?
La création d’un jeu vidéo s’apparente à l’architecture. Dans un dessin classique, on crée une image fixe, mais un jeu vidéo, c’est comme concevoir un bâtiment où les joueurs peuvent entrer et explorer librement, découvrant ce monde sous différents angles.
C’est similaire à l’expérience d’entrer dans un loft : on peut se diriger vers la fenêtre ou vers le jardin, et l’atmosphère varie complètement selon l’heure et la météo. Chaque espace transforme instinctivement notre comportement. Dans le développement de jeux, nous réfléchissons constamment à ces aspects : comment la hauteur d’un plafond ou l’orientation de la lumière façonnera l’expérience du joueur. Nous créons des espaces architecturaux interactifs en pixels, mais dans la vie réelle, cette sensation est encore plus intense.
L’open space de 100 m² a-t-il influencé votre créativité ? A-t-il servi d’espace de travail pour vos projets ?
Pour créer, il est toujours bénéfique d’évoluer dans un cadre apaisant où l’on se sent à l’aise. Un lieu chargé d’histoire nourrit l’imagination et guide la pensée vers des horizons positifs. C’est un phénomène mystérieux, mais je pense que le nouveau propriétaire ressentira la même chose : cet espace est propice à l’inspiration et à la création.
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La terrasse privative de 25 m² offre un havre de paix en plein Montreuil. Comment cet espace extérieur s’intégrait-il dans votre quotidien ?
La terrasse, bien que modeste, offre une intimité précieuse sans vis-à-vis. Elle était idéale pour un repas léger, un café ou simplement pour s’imprégner d’un moment de nature au cœur de la ville.
Qu’allez-vous le plus regretter de ce loft unique ?
Sans conteste, l’espace. Ces volumes généreux permettent d’accueillir de nombreuses personnes sans sensation d’étroitesse, même lors de soirées. Cette caractéristique est rare à Paris, et même à Montpellier.
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Et du coup, à Montpellier, vous avez retrouvé un lieu atypique également ?
Je connais Montpellier depuis près de 15 ans grâce à des amis qui y vivent. Après avoir longtemps habité Los Angeles, je me sens naturellement à l’aise avec ce cadre méditerranéen. La proximité de la mer et des montagnes me plaît. C’est une grande ville à l’échelle régionale, mais reste intime comparée à Paris ou New York.
J’ai découvert à Montpellier une communauté surprenante de créateurs de bande dessinée. Je travaille dans un atelier partagé avec Lewis Trondheim, mon éditeur pour Replay : Mémoires d’une famille, ainsi qu’avec Guy Delisle et Olivier Vatine. C’est un environnement idéal pour un créateur, où l’on peut côtoyer des personnes inspirantes tout en préservant son indépendance.
J’apprécie particulièrement de pouvoir rejoindre mon lieu de travail en seulement dix minutes à pied, ce qui me permet de faire la transition mentale nécessaire à la création. Avec des amis auteurs à Paris comme à Montpellier, je bénéficie partout d’espaces de qualité et d’un réseau de soutien précieux.
Vous vous tournez aujourd’hui vers la bande dessinée, pourquoi cette évolution ?
Ubisoft continue à développer des jeux Prince of Persia, et plusieurs adaptations cinématographiques ou télévisuelles de mes univers sont en cours. Je jongle entre différents projets à des rythmes variés, ce qui me convient parfaitement.
Ma BD Replay : Mémoires d’une famille est une œuvre très personnelle qui m’a ramené aux sensations de mes débuts dans les jeux vidéo, quand je créais seul à 18 ans. Le rythme d’une BD offre une sérénité que l’on ne trouve pas dans les projets à gros budget impliquant de grandes équipes. Cet équilibre entre projets d’envergure et créations plus intimes m’est essentiel.
L’un des avantages de la BD est sa portabilité – je peux travailler en atelier, chez moi ou même dans un café. Replay : Mémoires d’une famille, qui m’a occupé pendant près de trois ans, a pris forme entre Paris, Montpellier et même dans les trains qui relient ces deux villes.
Mon nouveau projet transpose l’esprit de mes jeux vidéo dans une BD se déroulant en Europe au début du XXe siècle, période qui me fascine profondément. Dans Replay : Mémoires d’une famille, j’explore les racines de ma famille en Europe centrale. Bien qu’Américain, mes origines sont autrichiennes, et mon père a traversé la France en tant que réfugié pendant la Seconde Guerre mondiale.
Dessiner le Paris de la Belle Époque me procure un plaisir particulier. Mon jeu The Last Express se déroulait à bord de l’Orient Express, et ce qui m’a séduit dans le loft montreuillois, c’était justement son ambiance industrielle avec ses ferronneries évoquant une gare et ses verrières majestueuses. Après quatre ans de recherches sur les gares parisiennes de 1914, j’ai ressenti une connexion immédiate avec cet espace. J’aime ces lieux parisiens où l’on peut encore s’imaginer au début du XXe siècle, imprégnés d’histoire. Montreuil possède cette atmosphère si particulière.
Depuis mon installation en France il y a huit ans, j’ai bouclé un autre cycle en revenant à ma passion d’enfance pour la bande dessinée. J’ai eu l’immense privilège de pouvoir explorer ces trois univers créatifs que sont le cinéma, les jeux vidéo et la BD.
https://www.jordanmechner.com/fr/
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