Espaces Atypiques rencontre Patrick Bouchain

Espaces Atypiques rencontre Patrick Bouchain

14.12.2022 Ils nous inspirent

Dans cette série d’interviews, nous partons à la découverte de personnalités inspirantes : artistes, entrepreneurs, journalistes, ou tout simplement passionnés de design et d’architecture. Tous ont un état d’esprit que nous partageons et qui nous plaît particulièrement ! 

Aujourd’hui, Carole Roux, responsable commerciale chez Espaces Atypiques rencontre l’inclassable Patrick Bouchain : architecte, urbaniste, scénographe contemporain et homme-orchestre de l’action culturelle. Du Plus Petit Cirque du Monde à Bagneux en passant par l’école nationale du cirque de Rosny, ses réalisations témoignent d’une vision de l’architecture qui repose sur la confiance en l’humain, une volonté de valoriser la main d’œuvre et de mettre l’habitant au cœur du projet, mais aussi sur l’économie des moyens, pour réussir à « faire plus avec moins ».

 

Avec Patrick, nous avons parlé de la célèbre Grange au Lac à Évian, de l’art de créer à partir des contraintes, de sa vision de l’atypisme et de son lieu préféré après la Cathédrale d’Autun : son lit. 

 

Quel est votre parcours ?   

J’ai expérimenté le champ de l’architecture au contact de ceux qui lui donnaient vie, plutôt que de me cantonner au métier tel qu’on l’entend aujourd’hui. Pendant mes études aux Beaux-Arts de Paris, j’ai effectué des stages, chez le décorateur Jacques Dumond, l’architecte André Hermant, ou chez le peintre Henri Malvaux. Puis j’ai continué de travailler avec des artistes, ce qui m’a amené à réaliser une architecture plus expérimentale et artistique tout au long de ma vie. 

L’architecture est un métier qui ne se définit pas vraiment… faire un opéra ou faire un logement social, ce n’est pas la même chose. Tout comme rénover une maison pour des amis ou faire un hôtel pour des clients n’a rien à voir selon moi. Et pourtant, à chaque fois, il s’agit d’habiter, de construire et de permettre à des personnes de prendre possession de leur environnement. 

 

Repas collectif à la MetaVilla, Pavillon Français de la Biennale d’Architecture de Venise, 2006 © Exyzt et Patrick Bouchain

Comment vous définissez-vous aujourd’hui : architecte, urbaniste, metteur en scène ou autre chose ?

(Inclassable, Patrick a passé sa vie à chercher une carte de visite qui colle à sa vision du métier.)

Ma première carte de visite, c’était « constructeur ». Mais comme je faisais des constructions plutôt « atypiques » et qui pouvaient en inquiéter certains, j’ai cherché à quoi correspondait ce que je faisais. Alors, je me suis dit “prototypiste” parce que c’était avant tout une question d’expérimentation. À chaque fois, il s’agit de recommencer. Et personnellement, j’avais décidé de ne jamais faire deux fois la même chose. Ensuite, il y a eu le terme de “scénographe” ou encore celui “d’architecte” et enfin celui “d’urbaniste” lorsque j’ai reçu le Grand Prix de l’urbanisme en 2018. Alors, je me suis dit qu’après tout, c’était peut-être ça… Tout au long de ma carrière, je me suis occupé d’une multitude de choses, tout comme un urbaniste peut être un économiste, un géographe, un sociologue, un architecte, un paysagiste ou un metteur en scène de l’urbain. Donc, j’ai fini par accepter le titre de cette discipline indisciplinée.

Quel est votre lieu architectural préféré ?

C’est un lieu qui a déclenché chez moi l’envie de faire de l’architecture : la visite d’une cathédrale romane, la Saint-Lazare d’Autun quand j’avais douze treize ans. Ça m’a bouleversé. 

Ce jour-là, je me souviens avoir été ébloui à la fois par la petitesse de l’échelle humaine, et par la grandeur de la pensée humaine. La température, les odeurs, l’acidité de la pierre, le parfum des bougies et de l’encens, m’ont complètement rempli et fait réaliser tout ce que peut contenir un lieu. C’est aussi l’une des seules églises ayant été signées par un sculpteur, Gislebert.
C’est après cette expérience, que j’ai compris que l’on pouvait faire une architecture à la fois savante et populaire, qui soit un récit et non simplement une chose. Et j’ai pensé que ma voie était par là. 

Qu’est-ce qui a changé dans le métier d’architecte ces dernières années ?

La règlementation due à l’absence de confiance et au manque de transversalité. Les architectes sont en partie responsables, car ils se sont réfugiés dans le secteur très limité de l’architecture. Ils se sont révélés être de mauvais constructeurs et de mauvais concepteurs parce qu’ils font des choses pour eux-mêmes, et non pas pour leurs occupants ou leurs clients. Cela est certainement dû au cloisonnement des métiers dans notre société. Il y a de plus en plus de spécialités et d’experts, mais de moins en moins de bons généralistes. L’architecture finit donc par se réduire au dessin… alors que, selon moi, la forme vient après. 

Rénovation de la piscine municipale de Bègles, un bâtiment Art Déco redevenu « Les bains-douche », suite au travail de Patrick Bouchain, Loïc Julienne et Nicole Concordet. 2005-2006 – Photo © Cyrille Weiner 

Vous êtes indéfinissable, insolite, iconique selon les termes déjà employés vous définissant. Quel a été le déclencheur de cet anticonformisme ?

C’est mon père. Je pense que la guerre a changé sa vie et sa vision continue, construite et conforme de l’existence. À son retour, il est devenu un véritable anticonformiste. Sur ses quatre enfants, je suis le seul à être né après le conflit et le seul qu’il ait mis en garde contre la société.

 

Monographie de Patrick Bouchain pour la Biennale d’Architecture d’Orléans du Frac

Quels sont les éléments importants pour vous lorsque vous imaginez un lieu ?

Ce sont les contraintes qui font le projet. Il est important de ne pas les ignorer, car elles reviennent toujours au galop.
Selon moi, la première contrainte, c’est avant tout de connaître la personne pour qui on construit. La deuxième, c’est le budget, parce que projeter quelque chose qui ne pourrait pas se réaliser, c’est rendre malheureux celui qui vous l’a demandé. La troisième, c’est de connaître le délai. Et enfin, la quatrième contrainte, c’est de savoir où le projet se construit. Quand ces quatre choses-là sont réunies, je suis prêt à partir.
Et ce qui est assez étonnant, c’est que si ces quatre choses sont connues, alors le projet est comme déjà fait, car le contexte définit la forme et le budget donne l’ampleur du projet. Donc, si tu ne sais pas pour qui tu construis, avec qui tu construis et où tu construis, il ne peut pas y avoir d’architecture.

Venons-en justement à la Grange au Lac qui fêtera bientôt ses 30 ans. Pourriez-vous nous en dire plus sur sa structure et sa réalisation ?

La Grange au Lac est l’expression complète des quatre critères que j’ai mentionnés auparavant. 4

Elle était d’abord la volonté de quelqu’un, Antoine Riboud qui voulait faire un cadeau à quelqu’un, Rostropovitch. Ensuite, le projet s’inscrivait dans un certain contexte puisqu’il s’agissait du festival d’Évian, et d’un certain lieu, dans la mesure où nous devions construire à proximité du lac. Le seul terrain disponible à ce moment-là était situé dans le bois – un endroit aussi imprévisible qu’exceptionnel qui a posé tout le cadre de cette réalisation.

Le terrain était en pente, alors j’ai mis la salle dans le sens de la pente, ce qui a donné les gradins. Ensuite, j’ai écouté l’acousticien et les différents experts pour connaître leurs contraintes. Il fallait un bâtiment de telle dimension pour garantir ses qualités acoustiques et de tant de places pour qu’il soit rentable. Il ne fallait pas couper tel arbre, ni faire de trou ici vis-à-vis de la source. À la fin du repas, j’avais dessiné la grange. 
La grande question a été celle du budget et du temps, parce que nous avions très peu d’argent et qu’il fallait construire en un an. Heureusement, comme je bénéficiais d’une profonde délégation de confiance de la part d’Antoine Riboud et de plaisir de Rostropovitch, je n’ai jamais douté.
Alors, j’ai cherché des personnes prêtes à travailler avec moi et à prendre ce risque : des jeunes ! Ils n’avaient jamais construit avant, jamais suivi un chantier de leur vie, mais j’étais sûr que ça marcherait et eux aussi. Si j’avais pris des gens plus expérimentés, ils m’auraient sûrement découragé, tandis que là, cette force de la jeunesse m’a permis de garder cet état d’esprit. 

Quand je regarde le bâtiment aujourd’hui, je pense que c’est ce qui s’en dégage. Je m’y reconnais et toute personne ayant travaillé avec moi dessus s’y reconnaît aussi. L’assistante que j’avais à l’époque, qui avait 22 ans, dit souvent qu’elle n’a jamais refait ça de sa vie et beaucoup considèrent que c’est leur plus belle réalisation. Et pour moi, c’est peut-être le cas aussi, parce qu’elle est espiègle et irrespectueuse des règles. 

Les contraintes vous stimulent. Est-ce qu’il y avait des contraintes ou une demande particulière pour ce bâtiment ? Est-ce que le bois en était une par exemple ?

La contrainte, c’était de construire un bâtiment avec le budget d’un cirque, tout en ayant des qualités acoustiques et pouvant contenir 1200 places été comme hiver. 

Or pour que l’acoustique soit bonne, il faut prévoir 10 mètres cubes par personne. Une fois multiplié, on obtient le volume à bâtir et ça commence à faire grand. Je me suis donc vite rendu compte qu’avec le budget ça n’allait pas vraiment correspondre au budget d’une toile de cirque. À ce moment-là, j’ai expliqué que c’était possible à réaliser, mais que le confort de la salle serait équivalent à celui d’un cirque. C’est-à-dire sans isolation thermique et avec des matériaux bruts. 

Une fois de plus, c’est la contrainte du temps, de l’argent, du volume et du contexte qui ont défini la réalisation telle qu’elle est aujourd’hui. 

Et le cèdre rouge, y a-t-il une raison ?

Oui, c’est d’abord parce qu’il ne pourrit pas. Pour que le bois ne s’abîme pas, il doit être ventilé ou tout le temps mouillé. Le cèdre rouge est un bois qui permet d’irriguer l’eau au lieu de la stocker grâce à de petits canaux internes. C’est aussi un bois très léger – ce qui facilite les travaux de charpente – et qui, contrairement aux idées reçues, n’est pas plus fragile pour autant. Sa légèreté le rend aussi plus thermique ! 

Qu’est-ce que l’atypisme pour vous ?

L’atypisme pour moi, c’est de ne pas faire comme les autres. Être à contre-courant, mais justement pour être avec les autres – car en général quand vous êtes authentiquement atypique, vous attirez. Je me suis rendu compte que c’était une forme de séduction. L’atypisme permet de créer une curiosité à son égard plus qu’un rejet. 

Qu’est-ce qu’un projet réussi ? 

Une architecture réussie, c’est une architecture appropriée. L’appropriation, c’est la victoire qu’un habitant à sur l’architecture. Selon moi, c’est plus fort qu’en être propriétaire, parce que ça veut dire accepter de partager sa vie avec l’architecture et l’approprier à son désir. 

C’est d’ailleurs pour ça que les espaces atypiques – qui ne ressemblent à aucun autre comme cet ancien relais de poste redessiné en loft-duplex avec piscine par le célèbre architecte Rudy Ricciotti – offrent cette dimension “appropriable”. 

J’avais un professeur qui disait « ce qui est fait pour ne pas être habité est plus habitable que ce qui est fait pour être habité ». En effet, je trouve qu’un logement social conçu pour être habité est souvent inhabitable. Alors qu’un loft est rendu habitable justement parce que l’imagination de la personne se met en mouvement pour se l’approprier. C’est cette action d’appropriation qui fait qu’elle se sent bien dans ce qu’elle a acheté. 

Le lieu de vie de vos rêves ?

Dès que je voyage, j’ai envie de m’arrêter vivre quelque part. Hier par exemple, je suis rendu à Montluçon, et en arrivant, j’ai senti une sorte de brutalité rustique et l’élégance de la Creuse… Je ne sais pas pourquoi, à ce moment-là, j’avais envie d’y habiter. C’est peut-être pour cela que je n’ai pas de maison… 

C’est justement notre prochaine question : un architecte tel que Patrick Bouchain, où habite-t-il ?

J’habite chez les autres. Je n’ai pas de maison à moi. Je ne suis propriétaire de rien et je n’ai jamais réalisé une chose pour moi. Encore cette année, j’ai pourtant réalisé des appartements pour des amis, parce que j’adore faire la maison des autres, et aller chez eux, mais je n’aime pas vraiment inviter chez moi. Je me dis bien que les gens doivent penser que j’habite dans un truc magnifique, avec une cheminée, fauteuil design ou je ne sais quoi, mais je n’ai rien.

Est-ce qu’il y a une pièce chez vous ou chez les autres qui vous inspire particulièrement ?

Mon lit. Je travaille beaucoup couché, et je suis très bien allongé. D’ailleurs ça énerve tout le monde parce que je peux rester presque un week-end allongé : je lis, je dessine, je téléphone, j’écoute de la musique, tout ça couché. 

Petits, ça énervait mes frères et sœurs. J’étais toujours couché, les pieds au mur, que j’avais fini par user. Aujourd’hui, ils me disent souvent « quand je pense que tu as passé ta vie couché ». Comme je n’ai pas fait d’études et que n’ai pas eu mon bac, ils se demandent comment j’ai fait pour en arriver là.

De quelle réalisation êtes-vous le plus fier aujourd’hui ? Et pourquoi ?

En général, c’est la dernière, parce qu’elle porte les apprentissages des réalisations précédentes. Je suis toujours très satisfait pendant que je fais un projet, et je ne l’aime plus une fois réalisé. Donc, la réalisation idéale est toujours à venir !

Et quel est le dernier projet ?

Il y a quinze jours, j’ai fait un hôtel-restaurant pour le festival des Jardins de Chaumont, à Chaumont-sur-Loire. Aujourd’hui, il est terminé et ouvert et je n’y suis toujours pas allé. 

Le Bois des Chambres, un cocon végétal, lieu d’arts et de nature au Domaine de Chaumont-sur-Loire par Loïc Julienne et Patrick Bouchain.

Transformation d’une ancienne ferme agricole en hôtel-restaurant et jardins au Domaine de Chaumont-sur-Loire par Loïc Julienne et Patrick Bouchain © E.Sander

En général, je n’aime pas aller dans les lieux que j’ai réalisés, car j’ai toujours peur que ça ne marche pas, et parce que j’ai toujours l’impression que ça ne m’appartient plus. Dès que je l’ai fini, je l’abandonne à la personne pour qui je l’ai fait. Ça m’est complètement égal si elle change des choses, ou prend quelqu’un après moi, puisque au contraire, je trouve que ça prouve que la personne se sent libre de se l’approprier. Donc ça peut surprendre, mais je n’y suis pas encore allé et je n’irai peut-être jamais.

Questionnaire inspiré par Proust  

L’endroit où vous vous sentez en sécurité.

Avec des amis

L’œuvre d’art qui vous a marqué ?

Une église romane

L’objet que vous utilisez le plus ?

Le crayon

La couleur que l’on retrouve le plus chez vous ?

Le jaune

La matière que vous préférez ?

Le bois

Le meilleur compliment qu’on ait pu faire à l’une de vos réalisations ?

Ça ne se voit pas

Votre rêve le plus fou ?

Mourir en bonne santé

La pire faute de goût, selon vous ?

Ne pas regarder ce qu’il y a autour de soi et vouloir toujours tout réinventer 

L’œuvre d’art qui vous a marqué ?

Peut-être un tableau de Matisse

Si vous n’aviez pas été architecte, qu’auriez-vous fait ?

Coiffeur

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